pile dans le velux la grande ourse

Un lundi soir autour des tables rapprochées les unes des autres, dans un préfabriqué qui serait démonté quelques semaines plus tard à peine, au moment du tour de fin de journée, un des ouvriers de l’atelier d’écriture dit une phrase qui me flingue, il dit, je pensais être quelqu’un loin de tout ça, de l’écriture, mais je me rends compte que c’est peut-être juste, au fond, l’usine qui m’en a éloigné. Et moi je balbutie mes mots pour tenter de répondre à ça. Toute la journée, j’avais eu l’émotion au bord des lèvres, j’avais déjà deux épisodes des Pieds sur terre dans les pattes, et je n’avais pas envie que cette journée-là soit la dernière à écrire ensemble. Eux non plus. Je n’ai pas pu assister aux rendez-vous suivants, mais ils ont sélectionné les textes parmi les quelques 250 écrits, et puis ils les ont travaillés, ils se sont préparés à les lire. Le mail de L. disait : au début, deux seulement voulaient lire et puis finalement, au fur et à mesure de la journée, ils se sont tous décidés, et c’était fou. Quand je suis arrivée mardi matin, c’était fébrile, ils avaient tous mis une chemise, ils étaient si beaux, et surtout, ils étaient terriblement impliqués, concentrés sur leurs textes, leurs papiers surlignés, à répéter consciencieusement les exercices de déclamation que C. leur avait appris, posant une question sur l’intonation d’un mot, sur un geste à faire à tel moment, sur la longueur d’un silence à respecter. Moi j’étais là, un peu en dehors, c’était la surprise, je ne savais pas quels textes ils avaient choisi, ni comment ils les liraient. On s’est mis en cercle et on a fait encore des a a a a a  des e e e e e et des i i i i i en étirant la bouche, on a respiré par le ventre et on a raconté des blagues pour rire un bon coup, et puis les gens sont arrivés.

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les vies denses ou l’évidence

Une nuit, on a changé d’heure, et depuis, le soleil s’est mis à se coucher en face de la baie vitrée de l’appartement d’à côté, une certaine idée de la perfection. Est venue petit à petit l’heure de ces premières fois que le printemps nous souffle, premier pique-nique abrités du vent derrière les dunes normandes, première sieste dans l’herbe et premier nid, cette façon d’appeler la trace que nos corps laissent dans les champs des Hautes-Alpes, premier coup de soleil, et le lendemain avant de prendre la route et de tendre le pouce, je passe à la pharmacie acheter un petit tube de crème solaire, première nuit passée la fenêtre ouverte, sans même avoir froid le matin, premier apéro sur la terrasse clandestine, au retour du travail et de tellement d’heures de cours que je me mélange les doigts pour les compter, enjamber le velux et se faire passer les bières, s’enrouler dans les plaids et regarder la ville depuis ses toits ; une autre fois, la voix qui devient rauque dans la température qui tombe, les verres de vin que le vent fait tanguer, oh, trois fois rien, mais un plaid taché. Première tisane glacée, vous reprendrez bien une tasse de bella vita, ça ne s’invente pas.

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aux premières jonquilles

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Si le garçon d’à côté était là, il me dirait de bien m’embabouder dans la couette, mais l’appartement reste silencieux, alors je le fais toute seule, je dors à sa place dans le radeau, et je me maudis un peu d’avoir craqué là au milieu de la semaine, alors qu’il y avait tant de choses à faire – mais n’y a-t-il pas, toujours, tant de choses à faire ? Alors tant pis, je sombre et j’écoute des podcasts, je lutte entre chutes de tension et drôles d’hallucinations, j’essaie de manger un peu, et ça va déjà mieux. J’ai juste un mal fou à passer les coups de fil qu’il faut, à annuler et à décommander, je me sens fautive, comme s’il était impossible de compter sur moi. Mais à un moment, c’est le corps qui énonce ses lois. Pour une fois, je peux profiter de l’appartement si lumineux avec tout ce soleil qui vient se frotter au velux, et je fais le chat, c’est peut-être mieux comme ça. Je me dis une première fois que je pourrais enfin prendre le temps d’écrire, mais j’ai à peine le temps de me le formuler, que me revoilà à dormir. Deuxième essai, me voici, j’ai pulsant sous la peau quelques tranches de vie.

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