la friche

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Je cherche des images pour dire à quoi ça ressemble, ces semaines, et je ne sais pas trop. Un jour au téléphone, Lotte me parle d’une pièce en chantier : on a fait des trous et il y a de la poussière partout ; on attend qu’elle retombe pour voir ce que ça donne. Ce sera sans doute mieux, après. Ah oui, alors c’est ça, exactement. De la poussière plein les cheveux et l’odeur du plâtre qui plane, et cet engouement au moment où on a la perceuse entre les mains : on pourrait toucher à ce mur-là mais pourquoi pas aussi à celui-ci ou à cet autre encore, ce n’était pas prévu mais tant qu’on y est, et je ne sais plus très bien comment m’arrêter. J’attends que ça s’apaise, et je sens que ça vient, de temps en temps. L’autre jour je disais, je me sens légère, ça faisait longtemps que ça ne m’était pas arrivé. On parle de carcan et même si ça me paraît très fort, comme mot, je crois que je le comprends comme il faut. En chantier, donc, ou en friche, peut-être.

Je rêve de champs de coquelicots.

À Bruxelles, l’été s’est invité, j’ai rajouté des robes dans mes placards et je suis sortie avec un paquet de jours d’affilée. On pourrait leur attribuer des pouvoirs magiques, sinon comment expliquer que je me sois mise à danser danser danser ? Mon ordinateur en panne m’a appris le goût d’un week-end sans travailler et j’en suis sortie infiniment reposée, expérience à renouveler. Alors c’est le festival de spectacles poétiques pour enfants dans le parc à côté et les histoires qui m’émeuvent, ce sont des verres en terrasse et des karaokés qui m’attrapent pour ne me recracher que bien tard dans les nuits, Nougaro chanté sur le parvis, des retours dans la ville jamais déserte et les mots avec Em’ à côté de nos vélos sur la place après une soirée filles.

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Le garçon d’à côté en juin passe en coups de vent, comment retrouve-t-on l’autre dans un goût de trop peu, le questionnement n’est jamais évident. Heureusement, on fait nos plans pour l’été. Celui-ci n’en finit pas de bouger, c’est qu’on voudrait tout caser tout en sachant bien que c’est même impossible à imaginer. Un matin, on part compléter nos équipements et on se retrouve à bricoler nos vélos encore sur le parking – au retour, sacoches arrières et sacoche de guidon, tente sur le porte-bagages, on pourrait croire qu’on y est déjà, mais il reste encore quelques jours à tenir : quelques candidat.e.s à écouter (cette “histoire de l’œuf et du poulet”, ah), quelques copies à corriger (ce “ensuite-suite” pour “ainsi de suite”, oh), quelques factures à envoyer, et mille choses à boucler.

Je fais couper mes cheveux très courts et le vendredi midi, M. a la peau déjà toute dorée de soleil. Premiers morceaux de pastèque, quand Maé vient habiter là – finalement juste une nuit – elle ramène deux raviers de fraises qui encore quelques jours après semblent délicieusement infinis. Chaque semaine, un matin à écrire avec Ce., parfois transformé en un après-midi, parfois pas écrit mais juste parlé, parfois un peu trop bouleversé. Ça avance cependant, les mots et la confiance, ça grandit, l’estime de soi, je dis « pas à tous les coups, hein ! », faudrait pas exagérer. Au moment où je poste ce dossier, j’y crois, et c’est peut-être ce qui compte, même si quelques semaines plus tard, il est refusé.

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Dans le ventre se bousculent de drôles de choses, ça ressemble à de la colère, jamais éprouvée auparavant mais présente de plus en plus souvent. On m’avait appris pourtant que je n’y avais pas droit. Je déconstruis et elle se dit dans des mails ou dans la voix.

Pour la, me calmer, il y a toujours pédaler qui fait son petit effet, même s’il en résulte parfois des altercations avec des chauffeurs de bus imbéciles. Pédaler donc ; jusqu’à chez Hanneton même si je me perds dans la forêt, jusqu’à un jardin où nous attend un barbecue. Le buffet y est abondant et la chorale joyeuse ; après les brochettes de légumes marinés et le tiramisu, il est déjà tard, je dois partir quand on sort l’accordéon : ah zut oh non.

De façon aléatoire, chaque journée d’élections en France coïncide avec un événement militant ou une manif ici, et c’est bien, à chaque fois, de ne pas rester sur ces impressions tristes, ces halls vides, d’aller mêler ma voix à celles d’autres, d’aller retrouver les ami.e.s pour marcher ensemble.

Et puis c’est la fin de l’année, et la fin des projets. La tête dans le guidon pour réaliser une boîte à outils dont nous sommes fières comme tout, et le jour de la présentation, les participant.e.s assurent comme des chef.fe.s alors que je ne sais pas tout à fait où me mettre. Sur les photos de l’événement, je me rends compte que je parle beaucoup trop avec les mains dès lors que je suis enthousiaste, mais tant pis. Je pense que la plus jolie chose qu’on me dit, à la séance d’évaluation la semaine suivante, c’est, « à nous lire tout le temps des textes, tu m’as donné envie d’aller à la bibliothèque », ce sont des petimmenses pas comme ça. Nous finissons ce projet en douceur(s), M. nous fait du thé à la menthe fraîche et L. offre à chacun.e un carnet pour qu’on continue à y poser les mots. Les mardis matins suivants ont un drôle de goût de manque.

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Avec l’atelier des enfants, on relie les livres sans avoir le temps de les relire, c’est que l’énergie était difficile à canaliser, même si quand ils tiennent leurs œuvres entre les mains, on voit leurs yeux briller de fierté. Je les enregistre réciter la formulette de fin, et je me demande s’il leur restera quelque chose de ce “patati patata la poésie ne s’arrête pas”. J’aimerais bien. Le dernier jour aussi, R., petite Pakistanaise arrivée au dernier trimestre et qu’on n’a jamais entendue, fait soudain des phrases complètes dans un français parfait. A. du haut de ses sept ans, s’exclame : “Mais elle parle français ?!!”, et c’est chouette qu’il y ait assez de confiance pour permettre ça.

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Au théâtre, je vois Nous avançons, rêveurs, et puis des conférences gesticulées, à chaque fois en sortant, je pense à qui j’aurais voulu y emmener. Un matin à l’autre bout de la ville, un petit-déjeuner avec Victoire ; plein d’après-midis à l’appartement d’à côté, le sublime album de Balmino, À contre-sens, et moi je cherche mes directions. Un mail m’apprend que ce projet de formation à Nantes à l’automne est accepté, et j’aime ce nouveau défi à relever. D’ici petit à petit tant bien que mal se détacher.

Après avoir lu De A à X, j’erre dans mes lectures parce que tout me paraît bien moins beau, alors je ferme les bouquins et me mets plutôt à regarder le ciel depuis la terrasse clandestine pendant de longues minutes, ça oui. Je fais du sirop de sureau avec les fleurs apportées par C., et j’aime ces sonorités, sirop de sureau, et puis des salades composées, des graines germées, un brownie aux haricots rouges, de la compote de rhubarbe à foison. Une plante dont je ne savais pas qu’elle était censée fleurir me surprend un matin et c’est le même jour je crois que je reçois la lettre d’A. qui me secoue.

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Quelques jours plus tard, c’est M. qui a glissé dans un colis qui s’annonçait rébarbatif les meilleurs des thés glacés, des gourmandises, de la poésie et un carnet, et les lettres écrites avec arrivent quelques jours plus tard, c’est un cadeau qui s’étire comme les soirées, j’aime ça. La plus longue de l’année, on va voir des concerts dans les Marolles mais on finit surtout assis au bord d’un arbre à parler parler parler et à nous retrouver avec le garçon d’à côté, et c’est bon comme c’est bien.

Quelques heures avant de partir, on réaménage la bibliothèque qui n’en pouvait plus de déborder. Encore des meubles récupérés, une lampe et des plantes, une machine à coudre qu’on se promet d’apprendre à utiliser, la petite cafetière italienne de ce lieu qu’on aimait tant ; c’est bien que des choses de là-bas se retrouvent chez nous, comme un album-photos en vrai.

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J’ai quitté l’appartement pour la vadrouille d’été vendredi matin alors que le sol finissait de sécher, et c’est comme lui qu’à la fin de la saison, j’aimerais me retrouver : plus en chantier, accueillant(e) mais jamais tout à fait rangé(e).