au bord de peau à fleur de l’eau

Dans la fin de la nuit, nous pédalons pour rejoindre la gare, entre les gens ivres de leur soirée. Trente minutes plus tard, je pleure toute seule dans le wagon désert, j’ai mal aux au revoir, d’avoir été si tant de jours d’affilée avec le garçon d’à côté, est-ce obligé de s’arrêter ? Il fait froid dans ce train-là et je m’enroule dans mon duvet, je sors de cette semaine confuse et mitigée. J’ai aimé le bord du lac, mais je n’ai pas réussi à écrire, j’ai détesté l’actualité même si une tarte aux abricots est venue nous consoler, je n’ai pas aimé crever loin de tout, mais apprendre à changer une chambre à air m’a redonné un peu de fierté. Un soir, on a regardé Nus et culottés et être sur la route m’a manqué, on a fait du bateau mais je me suis sentie vague. On m’a posé un lapin alors qu’il me restait à peine le temps d’être amoureuse, j’ai mâché ma colère lentement en pédalant vite. Dans un appartement avec vue sur le lac, je découvre dans le récit d’une autre des bribes de ce qu’il a pu être pendant ses études, et j’aime bien, et à la fois, mon corps me joue des tours et au bord de l’eau, je suis à fleur de peau. Alors ce sont un peu des larmes de tout ça, dans le wagon désert, jusqu’à Dijon où un couple anglais monte dans le même wagon, on se raconte nos parcours et je bois leur délicieux accent, le garçon me demande, tu es prof ? et je m’étonne que ça se lise sur moi au milieu de ma vadrouille, mais il ajoute tu es la première Française qu’on rencontre qui fait attention à parler lentement plus de deux minutes, et je ris. Je veux bien de ces déformations professionnelles-là.

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au niveau de votre cœur

Ici, dans les matins déjà chauds de cette fin juillet, les bords du lac Léman se parcourent à vélo jusqu’à la bibliothèque que le garçon d’à côté m’avait fait visiter dans une autre vie, à la préhistoire, et je m’installe à une table, puis à une autre et encore une autre au fil de la journée. Je pose mes doigts sur le clavier avec dans l’idée d’écrire, de reprendre ce roman commencé il y a trop longtemps, et dont je voudrais voir le bout là où pour l’instant je ne vois que des bouts, des morceaux épars qu’il faudrait trouver comment réorganiser. Au début de l’été, dans la maison des Vosges, J. m’avait tendu une chemise bleue qui contenait les 52 feuilles recto-verso imprimées, voilà, il n’y avait plus qu’à. Je les avais relues dans le jardin, et tout le temps passé avait joué : ce qui était à garder et à jeter me paraissait soudain plus clair, ainsi que de possibles avancées ; mais bien sûr, ce n’est pas le tout de le remarquer, encore faut-il s’élancer.

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je t’ai prêté ma bouche

C’est M. un samedi matin, alors que nous assistons à une rencontre d’autrices ensemble, qui me retient par le bras pour me demander, mais toi ! Tu as abandonné ton blog, ou quoi ? Et c’est vrai que j’ai du mal à me souvenir du dernier post écrit. L’envie pourtant est là, en grand, à cette rencontre justement où j’écoute parler des femmes de ce qu’elles écrivent et de comment elles le font, ou lorsque je passe devant une librairie, ou que je rédige une note de lecture pour un manuscrit que je viens de terminer, ou que j’écoute Bertrand Belin ou Dominique A. L’envie est là tout le temps, mais toujours grignotée par le reste. Je repense à V. qui devant la baie vitrée de l’appartement, disait : mon problème, c’est que je n’ai pas assez de temps pour voir tous les gens que j’aime. Et c’est tellement ça. Est-ce qu’un jour, j’arriverai à avoir assez le temps des choses qui me tiennent à coeur, à l’avoir ou à le prendre, qu’en sais-je, c’est que j’ai pourtant l’impression de ne pas tellement traîner, mais d’avoir aussi besoin de ces quelques moments de rien, seule sur le canapé devant le ciel, minutes à regarder le dehors sans avoir envie d’y mettre les pieds. Un dimanche comme ça, je lis les 480 pages d’un roman de Delphine de Vigan d’une traite, ce bouquin qui me happe complètement, le garçon d’à côté est là et je sais que nos heures ensemble ne sont pas si abondantes mais je n’arrive pas à faire autre chose, j’aime le savoir juste là et le retrouver entre deux chapitres, mais j’ai trop besoin de cette vie intérieure qui depuis quelques semaines semble avoir disparu, tant il y a eu de rencontres denses, d’événements enchaînés et de journées pleines.

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