l’espérance et la fantaisie

De Bruxelles, je retrouve les pavés, le temps fou et les ciels dingues, j’ai la chance des lumières des matins, des étangs des parcs, des châtaignes ramassées, des cafés aux noms chouettes, les gens que j’aime. A Bruxelles, il y a les retrouvailles qui se font si mouvantes et émouvantes, C. sur son vélo, M. de toutes les couleurs qui arrive en orange fluo, la douceur des soirs, les nuits tempête qui envolent mes baskets, le manque du garçon d’à côté, les kilomètres et les kilomètres avalés à pied, les biscuits turcs, le salon de thé au bas des escaliers, les expressions que j’aime tellement, les fous rires de rue avec A. avec qui nous n’avions pas habité la même ville depuis si longtemps, depuis Dublin et mes vingt ans, la passion et l’enthousiasme d’Alain Serres qui me font frémir la peau, les livres jeunesse, les concerts, la soirée crêpes chez D&J avec qui nous sommes maintenant voisins – c’est bizarre que tu ne restes pas dormir, et c’est vrai qu’elles sont rares, ces fois-là – mais c’est que j’habite à côté, c’est que j’habite juste à cent pas.

A Bruxelles, j’ai signé un contrat quarante-huit heures après avoir envoyé un seul CV, à cause de mes quarante-sept bonnes étoiles vous savez. Quelques jours plus tard, j’ai récupéré un badge et des marqueurs, et en entrant dans la salle de classe, j’ai oublié ma peur. Quand j’entends les nationalités des étudiants, j’ai plein de souvenirs de l’incroyable été, plein de pays, de lieux, et de tendresse pour ce qu’il y a à lier.

Petit à petit, j’habite la chambre aux grandes fenêtres en écoutant l’atelier intérieur, j’en découvre les reflets, et l’heure à laquelle le soleil vient éclairer ma bibliothèque de bric et de broc. Sur ma valise j’ai déplié un tissu que j’avais ramené d’Afrique dans une autre vie ; il y a aussi une tasse du Kirghizstan, les bols et la théière offerts par mes grands-parents. Le porte-bougie que m’avait fabriqué mon amie P. avant mon départ de Slovénie, l’étui de ma Thaïlande de janvier, et ma petite boîte de peinture à l’eau qui dit les mois vécus, pour me souvenir quand il a plu. Dans l’appartement, il y a un chat qui grimpe sur mon dos, et deux autres qui vaquent, un petit garçon de cinq ans qui crée des mondes neufs et nouveaux, et souvent, des discussions qui m’ouvrent à ce que je ne sais pas. La crème de châtaignes maison refroidit dans des pots, le facteur est déjà passé, il passera à nouveau.

Il y a une semaine en serrant la main du directeur, je me suis étonnée à l’envers, me rappelant qu’ici à nouveau, il fallait des poignées fermes et décidées, alors que dans mon Asie centrale, j’avais finalement appris à caresser. Il y a apprendre et désapprendre, acquérir, évaporer. J’aime la continuité des choses, leur cohérence, leurs ambiguïtés ; je suis encore partie, je suis déjà, enfin arrivée, bien sûr, mais le voyage est loin d’être terminé. Quand je descends la rue, je passe devant L’espérance, et puis La fantaisie, qu’y a-t-il donc à ajouter ? J’aime quand les endroits où l’on devrait être coïncident avec ceux où l’on est.

ici

Ici, c’est comme dans mon nouveau chez-moi, c’est encore en construction et en balbutiements. Je mets toujours plus de temps à arriver qu’à partir, mais je suis là, bientôt.

Chère Sally,
Il y a toutes ces choses qui nous remplissent.
Tous ces gens croisés, tous ces paysages. Ils infusent tout doucement en nous comme un sachet de thé dans un verre d’eau tiède. Nous ne nous rendons compte de rien. J’ai envie de rentrer à présent. Je rentrerai bientôt. Mais je n’ai pas encore fini. L’oiseau que j’ai recueilli ne migre pas. C’est un merle noir d’Ostende. Moi non plus je ne suis pas fait pour ça. C’est la raison pour laquelle nous allons tous les deux tenter d’atteindre le détroit de Gibraltar. Parce que nous ne sommes pas faits pour ça.
W.

Nos cheveux blanchiront avec nos yeux, Thomas Vinau.