avant les semis

Dans un texte, une étudiante écrit « la mémoire tamisée » pour dire les trous de mémoire, et mon feutre vert fait une vaguelette sous l’expression. Je lui dis à quel point c’est beau, ces trois mots ensemble, je lui demande, est-ce que je peux te les emprunter ? Devant son oui, je lui emprunte donc, et je pense à ici, aux phrases que je laisse, entre deux gorgées de thé encore chaud, elles aussi passées au tamis de la mémoire ; à jeter : cailloux et tessons, ce qui gratte et qui frotte, ce qui réouvre plaies et blessures mal ou jamais cicatrisées, ce qui coup de poigne le ventre et broie les épaules. À garder : le reste. Travail minutieux de tri, sur un marque-page dont je me rappelle le bleu vif, C. m’avait écrit il y a déjà longtemps tu es une orpailleuse. Je crois qu’enfin je comprends.

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comment c’est de commencer

Est-ce le premier janvier déjà ou bien est-ce quelques jours plus tard ? je ne sais plus, mais en sortant de la gare un soir, le premier janvier ou quelques jours plus tard, sa main glissée dans la mienne, il me demande : est-ce que tu aurais imaginé ça, si on te l’avait dit, il y a six ans, quand tu avais posé ta tête sur mon épaule alors qu’on attendait un train sur ce même quai – ce même quai de cette petite ville de ce pays qui n’est ni le tien ni le mien, alors qu’à ce moment-là encore, rien ne nous liait sauf nos mails, nos mails et nos mails – que six ans, oui, six ans après, par hasard, on habiterait là ? Et moi de lui répondre, est-ce que tu aurais imaginé ça, si on te l’avait dit, il y a trois ans, quand nous étions rentrés de vadrouille – de je ne sais plus quelle vadrouille, peut-être d’un voyage en Italie ? – et que nous avions trouvé dans notre placard à thés trois nouveaux sachets laissés par de gentils inconnus, trois sachets qui s’appelaient le thé des poètes solitaires, la tisane bella vita et le petit bonheur de Morges, est-ce que tu aurais imaginé que trois ans plus tard, nous irions nous installer là, dans cette petite ville de ce petit pays qui n’est ni le tien ni le mien et dont on sait simplement qu’elle a une boutique de thés en vrac aux jolis noms ? Et de rire, évidemment. De rire des surprises de la drôle de vie, qui va et vient comme on ne l’attend pas, et qui secoue tout le temps tout en même temps.

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les bruissements

Dans la maison du bord de l’océan, on entend le ronronnement du lave-vaisselle, et le soleil vient presque jusqu’à mes pieds. Les amies chères écrivent aussi, à côté. Le trajet pour venir jusqu’ici était long comme la fin de l’hiver, bus métro métro métro métro train car douze heures plus tard, c’est que ces retrouvailles se méritent. Très vite, la joie d’être là a effacé la fatigue, on a pédalé sur le chemin de terre jusqu’à l’eau – et ici, les questions se résument à : de quel côté va-t-on la voir, cette eau à reflets ? où s’assoit-on sur la plage, et que va-t-on écrire ? Déjà, je me doute qu’au bout de la semaine, quand il faudra partir, quitter les pins et les dunes, et les discussions et les lectures, ça laissera un petit goût amer, déjà, j’imagine que je garderai les crépitements du feu dans la cheminée, l’onctuosité de la soupe et des mots. Mais en attendant, comme ce qui compte évidemment, c’est quand même le présent, je savoure un moment après l’autre, et mes 47 bonnes étoiles.

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