ce qui laisse des tracs

Je ne sais plus exactement où je me suis arrêtée de raconter. Je me souviens m’être fait la réflexion un jour qu’il n’y avait pas assez, et quelques jours plus tard, il y avait bien trop – depuis je repousse, parce que pendant longtemps, il y a eu trop de désordre en dedans. J’ai hâte du moment où on pourra regarder ce début 2018 en en riant, en listant ce que ça nous aura appris, ce que ça nous aura ouvert comme horizons, ce que ça aura tissé entre nous. Pour l’heure, je suis encore dans cette période où tout me semble fragile, même si petit à petit nous tissons nos filets de sécurité.

C’est qu’un beau jour, le garçon d’à côté a perdu sans y être pour rien le travail pour lequel nous avions quitté Bruxelles et la grande douce vie de là-bas, un peu du soir au lendemain ; après la colère contre ceux qui oublient les humains, il a fallu se frayer un chemin entre les doutes et les questions, et les envies vraies : rester, partir, rentrer, revenir, pour où, pour quoi, comment, j’avais le ventre en points d’interrogation.

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avant les semis

Dans un texte, une étudiante écrit « la mémoire tamisée » pour dire les trous de mémoire, et mon feutre vert fait une vaguelette sous l’expression. Je lui dis à quel point c’est beau, ces trois mots ensemble, je lui demande, est-ce que je peux te les emprunter ? Devant son oui, je lui emprunte donc, et je pense à ici, aux phrases que je laisse, entre deux gorgées de thé encore chaud, elles aussi passées au tamis de la mémoire ; à jeter : cailloux et tessons, ce qui gratte et qui frotte, ce qui réouvre plaies et blessures mal ou jamais cicatrisées, ce qui coup de poigne le ventre et broie les épaules. À garder : le reste. Travail minutieux de tri, sur un marque-page dont je me rappelle le bleu vif, C. m’avait écrit il y a déjà longtemps tu es une orpailleuse. Je crois qu’enfin je comprends.

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comment c’est de commencer

Est-ce le premier janvier déjà ou bien est-ce quelques jours plus tard ? je ne sais plus, mais en sortant de la gare un soir, le premier janvier ou quelques jours plus tard, sa main glissée dans la mienne, il me demande : est-ce que tu aurais imaginé ça, si on te l’avait dit, il y a six ans, quand tu avais posé ta tête sur mon épaule alors qu’on attendait un train sur ce même quai – ce même quai de cette petite ville de ce pays qui n’est ni le tien ni le mien, alors qu’à ce moment-là encore, rien ne nous liait sauf nos mails, nos mails et nos mails – que six ans, oui, six ans après, par hasard, on habiterait là ? Et moi de lui répondre, est-ce que tu aurais imaginé ça, si on te l’avait dit, il y a trois ans, quand nous étions rentrés de vadrouille – de je ne sais plus quelle vadrouille, peut-être d’un voyage en Italie ? – et que nous avions trouvé dans notre placard à thés trois nouveaux sachets laissés par de gentils inconnus, trois sachets qui s’appelaient le thé des poètes solitaires, la tisane bella vita et le petit bonheur de Morges, est-ce que tu aurais imaginé que trois ans plus tard, nous irions nous installer là, dans cette petite ville de ce petit pays qui n’est ni le tien ni le mien et dont on sait simplement qu’elle a une boutique de thés en vrac aux jolis noms ? Et de rire, évidemment. De rire des surprises de la drôle de vie, qui va et vient comme on ne l’attend pas, et qui secoue tout le temps tout en même temps.

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