la taille des fenêtres

Je n’avais pas retenu la taille des fenêtres, le revêtement du sol dans le hall, l’emplacement exact du frigo dans la cuisine, la largeur de la chambre. Je n’étais tout à coup plus très sûre, en répondant au téléphone aux questions du garçon d’à côté, de comment c’était. J’avais simplement eu la sensation que cet endroit-ci pourrait nous aller, qu’on pourrait y poser nos bagages, nos sacs à dos, nos caisses en bois, nos cartons, et s’y installer.

Ça durait depuis si longtemps, et ça s’est tout à coup accéléré ; la lettre de motivation modifiée, le dossier envoyé, les appels répétés, la confirmation que oui oui il est pour vous, alors qu’éberluée par les mots au bout du fil, je faisais répéter la voix, encore et encore. Et puis les nœuds administratifs, le bail scanné signé scanné signé scanné signé, la garantie loyer, les décisions à prendre alors que le garçon d’à côté est à 800 km de là et que son téléphone ne répond pas ; cette boule dans le ventre dont on dirait que jamais elle ne s’en va. Et soudain, l’état des lieux miraculeusement planifié le lendemain, j’ai mille ans d’avance et les jambes qui tremblent dans les escaliers. Quand l’homme pousse la porte d’entrée, c’est ce soulagement de retrouver l’espace et de découvrir la lumière en journée, le parquet clair, et les arbres depuis le balcon. Après, il y a encore son impossibilité à me remettre les clés parce que le virement a été fait 23 heures plus tôt et pas 24, l’énergie que ça demande de trouver une solution, et finalement quelques heures plus tard, la main qui se referme sur deux clés, autant te dire que je prends la orange.

Continuer la lecture de « la taille des fenêtres »

ce sentiment ténu d’être tenue

Chaque matin depuis quelques semaines, je me dis que j’écrirai ici à nouveau quand on aura un appartement – quand j’aurai déballé mes cartons, retrouvé mes plantes et mes bouquins, récupéré un vrai lit ; et puis l’appartement ne vient pas, jamais, et les doigts me démangent. Je lis Chez soi, de Mona Chollet, commencé avec le vague espoir que ça déclencherait quelque chose – et elle parle tout à coup page 121 du thé, de sa préparation qui « signifie la possibilité de se laisser glisser dans une durée paisible, celle de la conversation, de la lecture ou de l’écriture ».

Je pense alors que si je n’ai pas de lieu, j’ai quand même malgré tout celui-ci, là où le thé est encore chaud même si je ne viens que rarement coller mes mains contre la tasse. Je corne la page et dans les jours qui suivent, je me répète cette expression, se laisser glisser dans une durée paisible, et c’est exactement ce dont j’ai besoin. C’est le « paisible » qui retient toute mon attention puisque pour ce qui y est de glisser (de déraper), de se laisser glisser dans une durée (de se casser la figure tranquillement), je me sens en plein dedans : ça fait quatre mois de nomadisme non choisi, six d’incertitudes, onze depuis que nous avons pris la décision de quitter Bruxelles, alors oui, la durée, c’est bon. Reste le paisible, cherché à tâtons, comme une grande vue sur les montagnes et le calme qui m’aspire soudain : après des nuits à mal dormir, dix heures de sommeil dans un chalet, enfin.

Continuer la lecture de « ce sentiment ténu d’être tenue »

ce qui laisse des tracs

Je ne sais plus exactement où je me suis arrêtée de raconter. Je me souviens m’être fait la réflexion un jour qu’il n’y avait pas assez, et quelques jours plus tard, il y avait bien trop – depuis je repousse, parce que pendant longtemps, il y a eu trop de désordre en dedans. J’ai hâte du moment où on pourra regarder ce début 2018 en en riant, en listant ce que ça nous aura appris, ce que ça nous aura ouvert comme horizons, ce que ça aura tissé entre nous. Pour l’heure, je suis encore dans cette période où tout me semble fragile, même si petit à petit nous tissons nos filets de sécurité.

C’est qu’un beau jour, le garçon d’à côté a perdu sans y être pour rien le travail pour lequel nous avions quitté Bruxelles et la grande douce vie de là-bas, un peu du soir au lendemain ; après la colère contre ceux qui oublient les humains, il a fallu se frayer un chemin entre les doutes et les questions, et les envies vraies : rester, partir, rentrer, revenir, pour où, pour quoi, comment, j’avais le ventre en points d’interrogation.

Continuer la lecture de « ce qui laisse des tracs »