Un lundi soir autour des tables rapprochées les unes des autres, dans un préfabriqué qui serait démonté quelques semaines plus tard à peine, au moment du tour de fin de journée, un des ouvriers de l’atelier d’écriture dit une phrase qui me flingue, il dit, je pensais être quelqu’un loin de tout ça, de l’écriture, mais je me rends compte que c’est peut-être juste, au fond, l’usine qui m’en a éloigné. Et moi je balbutie mes mots pour tenter de répondre à ça. Toute la journée, j’avais eu l’émotion au bord des lèvres, j’avais déjà deux épisodes des Pieds sur terre dans les pattes, et je n’avais pas envie que cette journée-là soit la dernière à écrire ensemble. Eux non plus. Je n’ai pas pu assister aux rendez-vous suivants, mais ils ont sélectionné les textes parmi les quelques 250 écrits, et puis ils les ont travaillés, ils se sont préparés à les lire. Le mail de L. disait : au début, deux seulement voulaient lire et puis finalement, au fur et à mesure de la journée, ils se sont tous décidés, et c’était fou. Quand je suis arrivée mardi matin, c’était fébrile, ils avaient tous mis une chemise, ils étaient si beaux, et surtout, ils étaient terriblement impliqués, concentrés sur leurs textes, leurs papiers surlignés, à répéter consciencieusement les exercices de déclamation que C. leur avait appris, posant une question sur l’intonation d’un mot, sur un geste à faire à tel moment, sur la longueur d’un silence à respecter. Moi j’étais là, un peu en dehors, c’était la surprise, je ne savais pas quels textes ils avaient choisi, ni comment ils les liraient. On s’est mis en cercle et on a fait encore des a a a a a des e e e e e et des i i i i i en étirant la bouche, on a respiré par le ventre et on a raconté des blagues pour rire un bon coup, et puis les gens sont arrivés.
Continuer la lecture de « pile dans le velux la grande ourse »