j’ai accumulé tant de gaité

10 janvier

Nous avons posé nos sacs pour trois jours dans le Diois dans une maison en bois dont j’aime chaque détail, chaque lampe, le piano droit, la boîte à musique en guise de sonnette, le robinet de la salle de bains, le futon dans la chambre, la couleur de la brique au sol, l’immense bureau. Une bouteille de vin est ouverte et nous prenons les repas à la table devant la grande fenêtre. Nous la débarrassons ensuite et nous y installons nos ordinateurs et nos carnets, la petite vie des travailleurs volontairement délocalisés – chance immense, nous jonglons entre les beaux projets. C’est que 2017 s’annonce pleine, encore, du point de vue de la vie.

L’après-midi, nous partons nous promener dans la vallée ou jusqu’au col, les pas dans la neige craquante tombée le matin ou dans les taches de soleil que le ciel bleu a semées. Plus tard, pendant que le lait de noisettes bout et que les carrés de chocolat y fondent pour le goûter, il faut remettre une bûche dans le poêle, réactiver les flammes, secouer les braises. Au petit matin encore endormie alors que le garçon d’à côté remonte se glisser dans le radeau, je lui dis, en fait, le feu, c’est comme un enfant, il faut s’en occuper tout le temps et je le sens rire contre moi. Un peu plus loin sur la piste, il y a une yourte, un tipi, une caravane, nous y imaginons les vies au dedans. Assise dans l’angle du canapé, je (me) dis que j’aimerais rester ici au bout de la route et loin de tout plus longtemps. À notre hôte qui nous proposait d’aller randonner ensemble, j’ai envoyé un message pour décliner, c’est que nous avions encore besoin d’être deux, juste ça, après l’intensité des semaines en familles, après les groupes en continu, être seulement deux les cœurs à nu. Demain, nous reprendrons nos sacs à dos et reviendrons à la vie avec des gens, des trains et des commerces dedans, une formation à donner et des ami.e.s à aller embrasser avant de rentrer dans la douce Bruxelles, un sourire pour ces va-et-vient qui, ah ça oui, nous vont bien.

Dans la nuit du 31 décembre, c’est en Bretagne que nous marchions, dans celle du 24, en Auvergne. Le mouvement tout le temps, comme à vélo, tu as beau mouliner, tu continues à avancer, comme ça tu tombes jamais. Pendant dix jours je n’ai pas touché à mon ordinateur et pas ouvert mes mails, déconnexion volontaire et adorée, et il y avait la poésie dingue de Lola Lafon dans un livre offert par Mam pour m’occuper. Et puis bien sûr des jeux de société, des retrouvailles, des boîtes à biscuits et des repas qui n’en finissent pas. Des rires des familles, l’amoureux de ma sœur et sa présence qui fait passer les discussions du français à l’anglais, et je m’amuse à observer ce que ça change et provoque. Des BDs lues dans un coin du canapé, des soupes de mille combinaisons différentes, des énigmes résolues à plusieurs voix, de grandes balades dans le vent et les rochers, et le thé bu toujours à l’abri. Marée haute marée basse, et tout ce qui se passe. C’est beau, c’est si beau tout le temps, mon téléphone ne fait qu’afficher mémoire insuffisante, eh bien si ça lui chante… Je garde les paysages incrustés dans mes paupières, comme les souvenirs dans cent recoins de ma tête – et à l’amoureux, raconte-moi quelque chose joyeux de vécu cette année à mes côtés, on pourrait ne jamais s’arrêter. Ce qui me manque à peine, c’est l’idée d’un bilan, je crois que j’aime bien ces discussions sur les choses à garder, celles à jeter. J’avais pris un carnet exprès, finalement je ne l’ai pas commencé.

À Lyon, je retrouve des amies avec une telle joie – ça fait si longtemps, et à chaque fois, c’est une chose qui me frappe, comme si en plus de les retrouver tout entières, il y avait ce trait spécifique tant aimé de chacune, le rire de K., l’odeur de C., la tendresse de Lou, les intonations de L. quand elle pose une question, les yeux d’AneCé et ses sourcils qui montent quand elle raconte, toutes ces choses minuscules qui me les feraient reconnaître entre mille, ces choses délicieuses que je cherche parfois chez les autres – d’autres que j’aime instantanément parce que justement, ils me rappellent ces douces avec qui j’ai vécu des voyages des études des projets il y a déjà des tas d’années. Alors c’est doux, ces apéros, ces restos, ces heures à bosser côte à côte et les récits pendant les pauses, ces apéros, ces marches dans le froid puisqu’on a dépassé le lieu de rendez-vous depuis longtemps – mais au moins ça laisse le temps de parler vraiment.

Parler vraiment, ne serait-ce pas un joli souhait pour l’année à venir, se dire les choses en bienveillance, s’accompagner les un.e.s les autres sur ce drôle de chemin qu’est l’enfilade des jours ? Parler vraiment, et écrire encore plus, avant que ça ne déborde partout, comme maintenant, le flot fou.

17 décembre

Bribes attrapées au temps et au sommeil – à chaque fois je voudrais faire court et souvent, à chaque fois ça finit autrement. Les mois se comptent à l’envers, je rebrousse chemin, ou je reprends là où, l’automne a été tellement dense quand on y pense.

Octobre – j’ai donné rendez-vous au garçon d’à côté à la gare mais finalement nous y allons ensemble, il a bien essayé de poser des questions – est-ce que je dois prendre mon passeport ? Et mon ordinateur ? – mais je n’ai rien dit, ma langue n’a pas fourché même si bien sûr j’en avais envie, mais non, une surprise c’est une surprise, quand même ! Nous montons nos vélos dans le train, ferme les yeux bouche-toi les oreilles tu ne dois pas savoir, et plus tard alors que je le fais pédaler le long de la nationale, je me dis qu’il doit se demander dans quel plan encore j’ai décidé de nous embarquer. C’est vrai que je me le demande un peu moi-même, alors que les voitures nous dépassent à grandes trombes et que la carte me dit que pourtant, le coin de paradis est si près d’ici. Finalement oui. Les forêts peuvent surgir au détour des chemins, il suffit de prendre à droite, derrière le grand portail rouge. Quand l’homme sort de la maison et nous tend la main, je dis en parlant du garçon d’à côté, il n’est au courant de rien, et nous le suivons sous les arbres. Et puis tout à coup au milieu des branches il y a la yourte, et surtout, surtout, le regard que le garçon d’à côté me lance à ce moment-là. Pendant deux jours, il y a ce feu, dehors, dedans, feu de poêle et feu de camp, des bougies d’anniversaire et des marshmallows grillés, et le crumble en kit que j’avais préparé. Nous pédalons jusqu’à Bruges à la recherche d’une ciste – en enquêtant sur internet quelques jours auparavant, je m’étais dit, ce serait si bien qu’il y ait à y trouver un objet qui pile, pour une raison ou une autre, nous parlerait. Et ce n’était même pas trop demandé. Assis par terre devant le poêle à boire du chocolat chaud, nous imaginons un lieu à habiter – et là, une grande fenêtre pleine de lumière. Dans les nuits, il y a comme la nature avec nous mais pas tout à fait, le feu qui s’éteint lentement, et les arbres en bruissements.

Octobre – ma petite soeur et son amoureux débarquent à Bruxelles, quelle douceur, de pouvoir mettre un visage sur un nom, enfin, et de découvrir cette présence tranquille, et cette énergie qui émane d’eux deux. On a pique-niqué dans les bois et joué au backgammon dans un parc, on est allés chercher des châtaignes dans l’automne timide ; dans la nuit avec du vin rouge, L&L nous montraient la cabane sur pilotis qu’ils ont construite dans la forêt uruguayenne.

Octobre – l’heure d’une nouvelle travadrouille, travaille, vadrouille, écris ! À l’aube, un, deux, trois trains pour Nantes, et cette pizzeria qui est décidément la meilleure deux soirs d’affilée même si on n’assume ni l’un ni l’autre – mais le serveur se marre, non mais c’est plutôt bon signe, j’imagine ! Mais ce n’est pas que pour manger que nous avons poussé jusqu’ici, non, il y a l’atelier co-animé pendant deux jours, et le plaisir d’un chouette groupe à découvrir. Travailler ensemble, c’est le bonheur décuplé d’embarquer les gens avec nous, de les sentir nous suivre, et cette certitude de pouvoir se reposer sur l’autre aussi à certains moments, et sentir comme ce qu’on apporte chacun est différent.

Après, à Chalon, Mam m’attend au bout du bus. Souvent, nous ne prenons pas ce temps-là, quelques jours ensemble, et pourtant – c’est bien ! Faire le marché et réfléchir à ce qu’on pourrait faire à « un repas » comme s’il y allait en avoir cent, et puis écrire, et bavarder surtout, longuement, un martini et un risotto, une tarte au citron, une ou deux bouteilles de vin. Dans les vignes, nous pique-niquons, il n’y a d’octobre que le nom. La lumière est horizontale sur les pierres, plus tard quand celle du cinéma se rallume, j’ai encore quelques larmes à essuyer. Frantz, et les mots dans la voiture après avoir démarré.

Et puis Strasbourg, la ville qu’on ne connaît pas et la petite chambre d’hôtel – c’est un peu embêtés qu’on a rendu une des deux clés le premier soir au monsieur de l’accueil, en fait, on n’a besoin que d’une chambre, dire qu’on n’avait même pas imaginé qu’on nous en prendrait deux, mais il est vrai que dans la vraie vie du travail, qui sait ? Pendant trois jours, nous participons à cette école automnale, dix mille questions en tête, et je me sens un peu extraterrestre, c’est que ça parle avec beaucoup de mots qui m’échappent, j’essaie d’en faire des sonnets mais ça ne marche pas tout à fait. Avec le garçon d’à côté, on est un peu ceux dont on ne comprend pas complètement ce qu’ils font là, à une des expériences proposées, notre proposition passe pour sans doute trop fantaisiste, mais le sérieux avec lequel le garçon d’à côté expose nos résultats me laisse pantoise et complètement soufflée. Finalement, c’est le dernier jour que ça fait vraiment sens, quand on les emmène écrire, dehors d’abord et puis dedans, au dehors de soi et puis en dedans, même si on aurait voulu plus de temps pour montrer là où on pouvait s’emmener, ce que ça fait de pouvoir soi-même s’étonner.

Octobre – il est l’heure de rentrer, j’ai accumulé tant de gaité. Mais ça ne finit pas, puisqu’à peine arrivée, j’attrape M. pour un déjeuner avant que mes douces S. et A. arrivent de leurs suds respectifs. Tu as quand même un appartement à ciels, toi ! Et je n’ai jamais trouvé ça aussi joliment dit que dans cette formulation-là. Nous bavardons des heures, des heures, en faisant de la crème de châtaignes avec celles ramassées quelques semaines plus tôt. C’est si sensible de les avoir là, ici, la quatrième comparse manque, on lui envoie mille pensées comme si ça pouvait remplacer. Dans les mots, il y a des projets, des envies, des rêveries, de grands rires, des idées, des bonhommes de chemins qu’il fait bon rencontrer. Un soir, c’est A. qui vient manger avec nous, lui l’ami de Bruxelles qui la quitte pour de bon, je voudrais pleurer dans les escaliers – avec qui les verres de vin sur la terrasse, avec qui les discussions-qu’avec-lui, avec qui ? Pour ne pas qu’on l’oublie, il débarque à la maison avec une demi-douzaine de cartons, que nous installons dans la chambre en attente de mieux. Dans mon coeur, c’est le grand chambardement, dans les placards aussi, depuis qu’il a décidé de passer une dernière fois par là, bocaux partout plein les bras. Nous le chassons à minuit et quelques, ou plutôt, c’est lui qui part : vous avez une nouvelle érotique à écrire, je vous rappelle, la double consigne est tombée dans nos boîtes mail quelques minutes plus tôt et avec les filles, on se demande entre deux rires dans quoi on vient de se lancer ! Il faut envoyer les nouvelles avant 7h du matin alors c’est une drôle de nuit qui commence : toutes les trois installées dans les fauteuils et canapés à écrire, quelques verres de vin et quelques tablettes de chocolat – des mots lancés, des textes relus, des battements de main et l’adrénaline qui monte vers 6h du matin. Un peu plus tôt, nous débattons de la sieste : est-elle envisageable ou non ? Chiche. Et puis à 6h58, chacune appuie sur envoyer, chacune dont la nouvelle porte un titre qu’une des autres a trouvé, chacune avec la joie et la fierté – et maintenant, allons nous coucher. On se lit nos nouvelles pelotonnées sous les plaids ; par la baie vitrée le ciel se lève.

Quelques heures après s’être réveillées de cette drôle de nuit, il y a déjà le début du festival de poésie, et ce lieu de rendez-vous que je connais plein de fois par le travail mais où j’aime à retrouver des gens de mes étés. Pendant quatre jours, il y a des ateliers à animer (et à préparer !), une balade contée dans les Marolles et la grande émotion d’une balade en silence sur les plateaux du Heysel. Le soir, les spectacles m’émeuvent ou me mettent en joie, parfois les deux à la fois.

Et puis, parallèlement à tout ça, novembre – c’est le début du Nanowrimo, toutes lancées dans les mots, on se décide à faire ça aussi. Mais c’est terrible, ce jeu, on a beau être à l’heure, on est déjà bientôt en retard. Je remets malgré tout les mains dans la matière du roman commencé il y a mille ans, toujours le même, je rattrape mes personnages, page après page.

Novembre – les filles partent au matin du dernier jour du festival et l’idée de rentrer à l’appartement vide et de me retrouver seule pour la première fois depuis longtemps me panique complètement. Je repousse ça en allant au restaurant avec les autres qui s’attardent, je prends encore une bouffée d’accent du sud de D. avant de le laisser repartir.

Novembre – souvent, je me répète qu’après des périodes denses comme celle-ci, de travail ailleurs, de festival, d’atelier à temps plein, je devrais m’aménager des sas, des moments de rien – « un week-end, en fait » dit quelqu’un qui me veut du bien, mais j’oublie à chaque fois et me maudis. Alors j’enchaîne sur un gros projetdossieratelier et l’actualité me rattrape, je travaille sur l’accession au pouvoir pile au moment des élections outre-Atlantique, le garçon d’à côté entre temps revenu me demande le matin en descendant qui a gagné ? et croit que je lui fais une blague encore plus mauvaise que celles auxquelles je l’ai habitué.

Novembre – des heures à écrire, des heures, des heures, des mots et le petit compteur bleu qui grandit ; les messages de R. et les défis, et comme à chaque novembre où je me lance, ah oui tiens mais donc, c’est possible de trouver le temps, quelque part. Et puis au milieu, mon ordinateur qui me lâche, alors pour ne pas céder à la panique, le temps passé à trier ce qui se trouve ici et là, à donner les choses aimées mais plus voulues, à aérer et à vider, est-ce qu’on range aussi son cœur en faisant ça ? C’est réfléchir à la place des choses en dehors et à l’intérieur de moi – le plaisir de confectionner de petits paquets qui serviront à d’autres. Au milieu du tri, je retombe sur une mind-map de mes envies et projets faite par Dom en juillet 2013, à Belgrade dans l’été fou, avant de venir habiter ici : ça m’émeut. C’est dingue comme tout a pris des proportions hallucinantes, les envies qui sont devenues des métiers, les rencontres à faire des amies. Se sentir à sa place est décidément une des meilleures choses du monde.

Novembre – mon père soudain à l’hôpital, les textos de ma soeur et les skype avec l’autre au bout du monde, ce que ça fait d’être loin. Novembre – les déjeuners avec les copines, au bout d’un trajet à vélo, je les kidnappe à leur travail, chacune à leur tour et j’aime ces rendez-vous volés sur le temps de midi. Novembre – des amis du garçon d’à côté sont là, le soir on a de longues discussions à voix basses collés l’un contre l’autre dans le radeau pour se rattraper des journées à côté mais séparés ; quelques bières, quelques jeux de société.

29 décembre

Maintenant c’est décembre en plein, décembre en presque fin ; par la vitre du train, le givre écrase les champs, il fait bon en dedans.

Novembre – on pourrait croire à la pluie mais en fait non, chaque jour sur mon vélo je m’étonne, je ne suis pas mouillée, matin après matin même si au bout de mes mitaines mes doigts sont gelés. J’aime les présences bienveillantes qui m’entourent – c’est R. l’oulipote fou, qui à la sortie de mon petit livre dont vous êtes le héros, demande : si je fais ta pub dans un message avec des lignes isocèles avec police à chasse fixe, tu es d’accord ?, c’est Ana&L qui écrivent le prénom du garçon d’à côté et le mien sur la page de leurs inspirations pour leur grand voyage, et n’est-ce pas les plus belles, ces relations d’inspirations mutuelles ?, c’est les trainings de clowns, la chorale activiste et le concert qui se prépare, l’énergie comme une claque à chaque fois. C’est Ce. qui va camper chez ma petite sœur d’Uruguay, et j’aime tant ces liens qui se font au-delà de moi.

10 janvier à nouveau

Novembre – sur le marché, j’achète des patidous parce que ce nom est décidément bien trop mignon même si je ne sais pas vraiment les cuisiner après. En parlant de noms – et mon roman ne parle que de ça – on m’écrit pour me dire qu’en serbe, il y a un verbe pour dire “blesser l’autre et se faire du mal en même temps”, et qu’en grec, un autre pour dire “faire quelque chose avec âme, amour et créativité” et je remercie la vie pour avoir des gens qui pensent à moi quand ils découvrent ces choses-là.

Novembre – à nouveau sur les routes, Montpellier mais la respiration s’emballe, la nuit aux urgences avec cette peur panique de quelque chose qui revient et puis finalement, non, rien. Depuis et plus tard, il y a eu des prises de sang, des mots à décrypter, et des larmes dans les escaliers, ma douce Ce. débarquée un soir de semaine à 22h passées pour me remonter le moral et le réconfort que sont ses bras. Mais Montpellier donc, il tombe des cordes et à 9h du matin devant les portes coulissantes de l’hôpital, je serais prête à rejoindre S. à la fac pourtant, histoire de donner la formation prévue presque comme si de rien n’était, mais au téléphone, elle me dit non, et j’entends là une évidence qui souvent quand il s’agit de moi oublie de m’effleurer. Elle dit aussi, avance ton train et va dormir, et alors j’appelle Al. ma lumineuse chez qui je vais à Valence, elle me dit, les draps sentent bon et il y aura du chocolat chaud : arrive vite. Dans leur grand appartement de la place, on rencontre leur bébé et on se frotte à la douceur de ces trois-là ensemble, à leur façon d’être côte à côte, à leurs expérimentations culinaires et à leur vie pleine de grands jets de lumière et de gazouillis d’enfant. J’aime tellement la tendresse qui se dégage du bloc qu’ils forment, et plus loin dans la rue aussi, la jolie librairie, les heures à travailler contrebalancées par celles à bavarder, et la tarte au chocolat qu’on aura le droit de manger seulement quand j’aurai dépassé ces fichus 30 000 mots pour le NaNo.

Novembre – après Valence, c’est un bus qui nous emmène vers le week-end et cette autre maison tout aussi accueillante dans un autre genre, là-bas, c’est la bataille des gâteaux au chocolat, et le dimanche midi à tou.te.s manger dans un même plat, les premières mandarines, et dans le soleil de la Drôme des collines, F. sculpte un bâton pendant que M. dessine. Au milieu, il y a cette nuit de 13h30 (treize heures trente) qu’on n’avait pas vu venir et qui est là tout à coup. Dans le soir, soudain cet épisode si joyeux à faire flamber des sachets de thé pour en faire des lanternes et la vie qui se glisse délicieusement dans le roman. J’achète une pogne au nougat pour ramener du soleil à Lyon mais je crois que ça ne suffit pas, et c’est un peu collant comme passage, en moins agréable que le sucre sur les doigts.

Novembre – le retour à Bruxelles est toujours une petite claque, le contrecoup des jours trop joyeux ; l’appartement vide où il fait 12°C et la respiration qui semble encore bizarre. Ma médecin préférée me dit qu’elle me rappellera à 20h ou 22h, parce qu’entre, elle est au théâtre – finalement, il n’y a rien, mais peut-être juste une invitation à faire attention, à prendre plus de temps pour soi ? À ralentir ? Alors allons-y, je décide de prendre une demi-journée off pour aller au cinéma et du coup, je suis quatre fois plus efficace le matin. Les salles noires dans lesquelles je m’installe sont toujours vides à 95%, est-ce les films que je vais voir ou les horaires ?

Décembre – dans la nuit qui nous mène au premier, j’envoie un calendrier de l’avent au garçon d’à côté en ligne qui n’est presque pas là de tout le mois. J’y ai mis des clins d’œil à la pelle et de la tendresse en encore plus grande quantité, je triple-souris à chacun de ses mails qui vient me remercier.

Décembre – j’ai voulu emmener quelques livres en atelier et je n’ai pas réussi à choisir, j’en étale une quarantaine sur les tables, c’est que les autres savaient bien mieux dire les choses que moi sur le sujet. Quand des participant.e.s me disent que c’est leur premier atelier, quelque chose s’allume en moi, comme si tous les possibles tout à coup s’ouvraient, une joie, un battement de mains, une petite appréhension, mais je rosis des mots distribués à la fin.

Décembre – en l’espace de quatre jours, c’est trois personnes appréciées et estimées qui me parlent des jeux Thiagi, voici encore une des multiples choses que je pourrais creuser. En attendant, j’ai encore trop couru, trop fait passer d’oraux, trop animé, et me voici tout à coup arrêtée, la tête pastèque à grelotter. Un matin alors que je traîne un peu sous la couette, le garçon d’à côté remonte les escaliers jusqu’à la chambre et me dit, je vais rester deux jours de plus ; alors, sans doute, il y a dû avoir un sourire qui va presque jusqu’à me guérir – mais quand même pas. Deux jours de plus, ça doublait le temps ensemble de décembre, et deux jours, c’est aussi deux nuits, deux fois plus de peaux à peaux, comment cela ne pourrait-il pas être beau. Mais ces jours de convalescence m’agacent et me frustrent, je déteste : renoncer à des engagements, devoir me défaire de ce que j’ai promis ; alors je les passe à lire des romans graphiques dans le radeau et à chercher le corps du garçon d’à côté en croisant les doigts pour ne pas le contaminer.

Décembre – des amies de Bruxelles et d’ailleurs un dimanche matin viennent confectionner des sablés et d’autres gourmandises d’hiver vegan dans mon salon, on fait du thé une sorte de perfusion, l’appartement est plein de passages et de présences lumineuses. Ça sent les sablés à la noisette et le beurre de coco, les boîtes en métal se remplissent, on en fera des cadeaux. Pendant plusieurs jours ensuite, ça sent le mélange à pain d’épices quand je pousse la porte.

Décembre – En atelier, R. dont la langue chante écrit, il faut continuer à avancer même si la vie a de petits pièges, « c’est sage » je lui dis. Dans un atelier de cinq jours, nous fabriquons des livres dans des boîtes d’allumettes, et je raconte cette idée de faire surgir la poésie n’importe où. C’est exigeant, d’écrire, sélectionner, mettre en page, fabriquer, préparer une exposition et une lecture en une minuscule semaine avec des celles et des ceux qui n’écrivent pas, jamais, mais j’adore l’énergie qui se déploie soudain, leur confiance qui vient petit à petit, et le groupe qui tout à coup se tient. C’est un beau projet pour terminer l’année, des percussions des contes de la danse du théâtre et de la poésie en plein de langues un vendredi 23 décembre, que pourrait-on souhaiter de mieux ?

*

Voilà, octobre, novembre, décembre, janvier, j’essaie de raccrocher les jours pour ne pas tout à fait les perdre de vue. J’aime à me dire que ce sont des mots que je pourrai relire, si un jour ça tombe trop bas, les idées et la nuit. C’est qu’en attendant, cette vie me gonfle le cœur tout le temps ; le plus souvent je dois sélectionner les souvenirs plutôt que les chercher pour remplir les trois lignes de gratitude chaque soir. Pourtant, ça pose question, quand tout autour, il y a tellement d’autres vies qui claquent des dents. Un mardi de novembre en atelier, M. s’exclamait : « En fait, c’est bientôt le printemps ! », et j’avais aimé cette joie. Ce n’était pas une précipitation – il restait encore plus d’une saison, mais un regard sincère, un optimisme qui ne semblait jamais effarouché.

Pour les soirs à chercher les souvenirs plutôt qu’à les sélectionner, il n’est pas désagréable de penser que, dans et malgré le tumulte incessant du monde, déjà et quoi qu’il arrive, les jours ont recommencé à s’allonger.

À celleux qui passeraient encore ici, une douce année. :-*