la folle allure

Régulièrement, je me dis que je devrais venir écrire plus souvent ici. Il y a trop à retenir dans mon coeur engourdi. Sans doute le train est-il le meilleur endroit depuis lequel raconter la vie sur ces pages-là, alors que je quitte de belles choses pour en rejoindre d’autres, tout aussi belles ; c’est dingue ce mois d’octobre, et toute la joie qui l’attend. Fin septembre, je me fais la réflexion, ô combien originale, que tout va tellement vite, comme ce titre de Bobin, la folle allure. Parfois, j’ai des bribes des jours précédents qui me reviennent brusquement, et que je n’ai pas eu le temps d’assimiler. C’est comme si je me réjouissais une nouvelle fois des choses parce que je les ai oubliées tant j’ai dû passer rapidement à la suite : c’est une chanson émue qu’on commence à travailler à la chorale, c’est une proposition d’atelier pile-pile-pile-pour-moi, c’est un mail d’une amie chère avec qui pourtant on ne s’écrit pas souvent qui a pour objet le prénom d’un enfant, suivi un point d’exclamation, et ma bouche fait pareil quand je le vois apparaître dans ma boîte mail : un point d’exclamation.

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au bord de peau à fleur de l’eau

Dans la fin de la nuit, nous pédalons pour rejoindre la gare, entre les gens ivres de leur soirée. Trente minutes plus tard, je pleure toute seule dans le wagon désert, j’ai mal aux au revoir, d’avoir été si tant de jours d’affilée avec le garçon d’à côté, est-ce obligé de s’arrêter ? Il fait froid dans ce train-là et je m’enroule dans mon duvet, je sors de cette semaine confuse et mitigée. J’ai aimé le bord du lac, mais je n’ai pas réussi à écrire, j’ai détesté l’actualité même si une tarte aux abricots est venue nous consoler, je n’ai pas aimé crever loin de tout, mais apprendre à changer une chambre à air m’a redonné un peu de fierté. Un soir, on a regardé Nus et culottés et être sur la route m’a manqué, on a fait du bateau mais je me suis sentie vague. On m’a posé un lapin alors qu’il me restait à peine le temps d’être amoureuse, j’ai mâché ma colère lentement en pédalant vite. Dans un appartement avec vue sur le lac, je découvre dans le récit d’une autre des bribes de ce qu’il a pu être pendant ses études, et j’aime bien, et à la fois, mon corps me joue des tours et au bord de l’eau, je suis à fleur de peau. Alors ce sont un peu des larmes de tout ça, dans le wagon désert, jusqu’à Dijon où un couple anglais monte dans le même wagon, on se raconte nos parcours et je bois leur délicieux accent, le garçon me demande, tu es prof ? et je m’étonne que ça se lise sur moi au milieu de ma vadrouille, mais il ajoute tu es la première Française qu’on rencontre qui fait attention à parler lentement plus de deux minutes, et je ris. Je veux bien de ces déformations professionnelles-là.

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au niveau de votre cœur

Ici, dans les matins déjà chauds de cette fin juillet, les bords du lac Léman se parcourent à vélo jusqu’à la bibliothèque que le garçon d’à côté m’avait fait visiter dans une autre vie, à la préhistoire, et je m’installe à une table, puis à une autre et encore une autre au fil de la journée. Je pose mes doigts sur le clavier avec dans l’idée d’écrire, de reprendre ce roman commencé il y a trop longtemps, et dont je voudrais voir le bout là où pour l’instant je ne vois que des bouts, des morceaux épars qu’il faudrait trouver comment réorganiser. Au début de l’été, dans la maison des Vosges, J. m’avait tendu une chemise bleue qui contenait les 52 feuilles recto-verso imprimées, voilà, il n’y avait plus qu’à. Je les avais relues dans le jardin, et tout le temps passé avait joué : ce qui était à garder et à jeter me paraissait soudain plus clair, ainsi que de possibles avancées ; mais bien sûr, ce n’est pas le tout de le remarquer, encore faut-il s’élancer.

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