Dans un texte, une étudiante écrit « la mémoire tamisée » pour dire les trous de mémoire, et mon feutre vert fait une vaguelette sous l’expression. Je lui dis à quel point c’est beau, ces trois mots ensemble, je lui demande, est-ce que je peux te les emprunter ? Devant son oui, je lui emprunte donc, et je pense à ici, aux phrases que je laisse, entre deux gorgées de thé encore chaud, elles aussi passées au tamis de la mémoire ; à jeter : cailloux et tessons, ce qui gratte et qui frotte, ce qui réouvre plaies et blessures mal ou jamais cicatrisées, ce qui coup de poigne le ventre et broie les épaules. À garder : le reste. Travail minutieux de tri, sur un marque-page dont je me rappelle le bleu vif, C. m’avait écrit il y a déjà longtemps tu es une orpailleuse. Je crois qu’enfin je comprends.