au bout des champs à tout bout de chant

(en version audio enregistrée dans la nuit)

Dernier matin du Queyras, la biche nous fait l’honneur de paître dans le champ sous nos fenêtres, et les chiennes acceptent de ne pas aboyer pour ne pas l’effrayer. Nous profitons de ces quelques minutes à l’observer au milieu des gentianes jaunes, la montagne en fond, le bois de la terrasse sous nos pieds, les tasses à la main. Il s’agit de suspendre le temps avant de vite vite finir les bagages, vite pas si vite se séparer, vite vite redescendre dans la vallée et la chaleur, vite vite presque rater le train et retourner à la vie où l’écriture a du mal à être au centre alors que là, elle avait trouvé sa place dans les journées, s’était immiscée partout, et c’est le reste qui s’était construit autour. Je sors de ces cinq jours de stage ébouriffée, sans avoir touché au texte emporté dans mes bagages, sans même y avoir pensé en vérité, mais avec un tout autre début et des bribes d’une histoire. C’est que les mots, toujours, emmènent là où il faut. Je sors de là émue d’avoir enfin rencontré celles dont J. me parlait depuis que je la connais, touchée par ces participantes et le groupe qui fait groupe, justement, petit à petit. Les textes de chacune, les voix pour les porter, le carnet commencé exprès à cette occasion se remplit au feutre noir de noms que j’ignorais et de concepts qui m’étaient jusqu’alors étrangers. Au retour et dans les jours qui suivent, il y a plein de petits clins d’œil que j’aimerais partager et des discussions non terminées qui me reviennent, et je me doute déjà que moi aussi, je reviendrai.

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ce qui bouge

Dans un des carnets du moment, je démarre une liste de ce qui bouge, et ça commence comme ça : autrice écrit dans quelques lignes pour me présenter ; ma compréhension du mot ambition ; mon envie de faire des choses seules – trois jours à vélo cet été ? J’hésite à rajouter « l’écureuil qui traverse la route juste sous les roues de mon vélo ce matin » mais ce serait tricher, car en vrai, le titre, c’est : ce qui bouge en moi.

Avant de partir en vadrouille en Belgique, je me demande ce que ça va me faire, de marier des amis, visiter des maisons nouvellement acquises, découvrir des terrains achetés, rencontrer des bébés, et voir des enfants mille fois plus grands que la fois d’avant, et à vrai dire je ne sais pas trop. Pendant, je me souviens de ce chouette film, Away we go, et j’ai une vague impression comme ça, un road trip pour aller voir d’autres vies que la mienne, des vies singulières et immenses.

Je reviens de ce voyage avec un pull-plaid que Mél m’a donné, le plus joli des bols troqué contre quelques heures d’écriture à plusieurs, des pots de confiture, 443g de ma tisane préférée qui commençait sérieusement à me manquer, un certain nombre de bouquins de seconde main, des tas de graines à planter pour notre tentative de balcon potager, et encore du vernis rouge à paillettes sur les doigts – gardé toute une semaine après le mariage, peut-être que dans ma liste, je pourrais aussi mettre ça. Je reviens surtout avec cette certitude renouvelée que les femmes que je connais sont incroyables, toute émue des choix posés par chacune, défendus, argumentés, des opportunités saisies, des chemins de vie cahin-caha, des ténacités, des aboutissements, des réjouissances. Je reviens honorée de ces amitiés à distance, de ces retrouvailles délicieuses, de ces moments pris ensemble, de ces récits, de ces partages qui nous rendent plus fortes, de ces intimes approchés. Je reviens pleine de rires et de mots, de confidences au bord des étangs ou au milieu d’une fête, de discussions animées devant la pleine lune, assises sur le tapis de sol dans la pelouse du bar à bière en bas d’un appartement d’une autre vie. Je reviens avec le souvenir du crumble de légumes préparé, pendant que sur le canapé, les tout tout jeunes parents s’endormaient comme le petit, avec une pancarte de stop froissée pour la fois où on a loupé l’arrêt de train à force de discuter, avec de la food for thought, plein, avec l’odeur douce des bébés, mes belgicismes préférés partout dans mes phrases, et des astuces pour distinguer l’ail des ours du muguet.

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jeter l’ancre

À quel moment est-ce que j’ai senti l’énergie revenir, et être là, vraiment, comme posée, comme si je l’avais avalée ? C’est cette image, exactement : l’ingurgitation d’une boule d’énergie et que, dissoute en moi, elle était venue tapisser le fond de mon ventre, et les parois de mon corps. Ça ne m’empêche pas de dormir tard pendant les vacances, ou de m’assoupir la tête sur les genoux du garçon d’à côté au retour d’une promenade, parce que c’est quelque chose de plus profond que ça. Une ancre, peut-être. S’il fallait dire un moment, je pointerais sans doute le début de décembre. Peut-être qu’il y a simplement à accepter et conscientiser ces histoires de cycles et d’humeurs, ces moments d’introspection nécessaires pour ensuite me tourner à nouveau vers le monde. Peut-être que cette histoire de nomadisme pas franchement choisi presque une moitié de 2018 m’avait écorchée de fatigue, qu’il fallait (me) récupérer.

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